samedi 17 juillet 2021

1952-1968 Souvenirs d'un enfant du quartier

 

Yves Bohain, a habité au 3 rue des Solitaires de 1952 à 1968

Il nous livre ses souvenirs dans un très beau texte, un témoignage précieux. riche en informations quant à la manière dont les gens vivaient à cette époque là .

Un grand merci à lui d'avoir voulu  partager une partie de son enfance avec nous !

 

FAVERGES, le 30 mai 2021, et suivants...

  Quand les « Studios des Buttes Chaumont » ont brûlé (28 février 1953), je venais d'avoir quatre ans, et nous habitions au n°3 de la rue des Solitaires, au 1er étage, depuis un an environ.
  D'après mes parents qui étaient à la fenêtre (1), la rue était encombrée de tuyaux pompiers, de bruits et de fumée, et je dormais comme un loir...
    

Notre immeuble avait sa concierge, logée au rez, auprès de l'escalier et de la descente aux caves, sa cuisine faisait saillie dans l'arrière-cour, qui comportait un cabanon pour les poubelles, un point d'eau, deux minuscules jardinets, et un WC extérieur pour une maisonnette de deux petits logements. La loge avait deux portes-fenêtres accédant à la cour. Elle hébergeait son fils, sa belle-fille et son petit-fils, et elle me gardait, après la Maternelle. Son rôle essentiel était de nous empêcher de faire du bruit et de descendre l'escalier sur la rampe ! C'était « Mémère Fadat ».
    Au rez sur la rue, il y avait un bistrot!(2) Il attirait son lot d'habitués, qui repartaient tard le soir, souvent éméchés... Çà ne m'empêchait pas de m'endormir, bercé par le bruit du poêle à charbon qu'on tisonne chez les voisins du dessus.(3) Nous avions une petite cheminée en marbre dans chacune des trois pièces en façade, mais deux poêles, rapidement remplacés par deux poêles à gaz de ville, qui fonctionnaient encore en 1979...
   

 A l'angle de la rue, il y avait une vieille boucherie, qui trônait dans un terrain vague à palissades en bois (sans doute l'ancien immeuble du n°1, démoli?).
 

L'arrondissement comportait de nombreux terrains vagues, qui nous servaient de Far-West, quand nous ne nous faisions pas chasser par un clochard défendant sa cabane. 

   En face, à l'angle de la rue Carducci, un immense terrain d'une entreprise de charbon, avec des ouvriers noirs de poussière, leur sac de jute sur la tête, qui chargeaient des camions déjà vieux, sans doute d'avant-guerre...(4). Dans un angle de l'autre trottoir de la rue Carducci, étaient stockées des poubelles des « Studios », remplies de chutes de films N&B en celluloïd : on y voyait quelques images anonymes...  

   J'allais à l'épicerie rue de la Villette, probablement au n°54, avec mon bidon de lait d'un litre en alu, et le beurre en motte était débité avec....un fil à couper le beurre ! J'allais au pain un peu plus haut, peut-être au n°58 (reconstruit?) En face se situait le coiffeur/marchand de journaux (n°47). Dans la cour intérieure de cet immeuble cossu, on allait consulter le bon Docteur Chevrillon, le médecin de famille (de combien de familles?), féru de précieux soldats de plomb napoléoniens.J'ai souvent été angineux, jusqu'à l'opération des amygdales vers  six ans, et le Docteur venait souvent à la maison ! Ma mère était infirmière à Cochin, et me badigeonnait de cataplasmes...à la moutarde ! Comme elle était spécialisée en radiologie, et souvent de garde, une ambulance de l'A.P. (maintenant APHP) venait la chercher la nuit, il y avait un sonnette spéciale sur le pied-droit de l'entrée du n°3.
    

Nous n'avions ni salle de bains, ni réfrigérateur : on se lavait dans la cuisine, et les aliments périssables étaient conservés dans le « garde-manger », sous la fenêtre de la cuisine, un placard en saillie sur l'extérieur, en façade Nord ! Ma mère faisait la cuisine sur un petit réchaud à gaz, et lorsqu'on a pu avoir une belle cuisine en Formica noir et jaune, le meuble épousait la forme biscornue du vieux réchaud... !

 Ma mère se douchait sans doute à l'hôpital, mon père et moi allions aux douches Municipales, place des Fêtes (5) :on pouvait acheter un petit savon, et un petit berlingot de Dop... L'attente était parfois longue, dans la chaleur humide, avec les cris de l'employé qui annonçait les numéros, serpillait les cabines, et houspillait ceux qui dépassaient le temps imparti (écrit à la craie sur la porte) !
   

 J'allais à l'école maternelle à l'angle des rues Fessart et de Palestine, puis à l'école primaire de garçons, rue Fessart, ces deux écoles encadrant l'école de filles.

 Sur le trajet rue de la Villette, avec ma blouse grise, mes culottes courtes, et  mes godillots ferrés, la clef de l'appartement attachée par une chaînette, je passais devant la boucherie chevaline (au n°33, « Borealia » ?), et à l'angle des  rues,
un merveilleux « marchand de couleurs », pour moi une caverne d'Ali Baba qui sentait bon le savon de Marseille et l'encaustique (au n°29).
   

 A côté de l'école, la bibliothèque municipale, mais surtout, un peu plus loin, au n°10, une toute petite boutique de journaux, et de confiseries ! Je ne me souviens que des mistrals gagnants et des coquillages à lécher... Un jour, j'ai roulé cette brave dame : je lui ai fourgué une pièce jaune de « 1 franc » des années 30  à la place des « 20 francs » des années 50 que je lui devais !
   

 Encore plus loin, au n°16, un garage où mon père faisait réparer notre 1ère voiture, une 403 d'occasion, gagnée en jouant au Tiercé -avec sa pince à encocher- au PMU à côté de l'Eglise de Belleville (6). Au début, il la garait dans un vieux garage au n°4 de la rue des Solitaires, où il fallait beaucoup manœuvrer tellement c'était petit...Dans un coin stagnait une Renault NN (1925?) avec un squelette d'oiseau dans les plis de la capote...
   

 Le jeudi, jusqu'au CE2, j'allais à la garderie municipale dans une autre école, très très loin : rue Compans ! J'avais les francs en poche pour payer la cantine, mais un jour mon père oublia de me les donner avant d'aller prendre son métro à « Botzaris » (7): je courus comme un fou, et arrivai en pleurs au portillon de la poinçonneuse... Elle me donna la somme (!), que mon père lui remboursa le lendemain, agrémentée d'une plaque de bon chocolat .
   

 Si j'allais rue Compans par la rue des Annelets et les escaliers, il y avait à l'angle (n°33 ou 35?) une petite boutique de journaux où on achetait en douce des « illustrés », interdits à la maison...
    

Plus grand, livré à moi-même tout le jeudi, j'arpentais le quartier avec mes copains d'école, Rios, dont les parents tenaient une épicerie rue du Plateau (8), et Chenin, habitant en face, à côté d'une entreprise de décolletage (9). Outre les grands terrains vagues (et dépotoirs) de cette rue, nous allions faire du patin à roulettes sur les grands trottoirs de la rue Botzaris, le long des grilles des Buttes (10).
    

Les Buttes-Chaumont, c'était notre paradis, surtout les recoins interdits, où nous allions fumer en déjouant l'attention des gardes (11). Les jardiniers devaient bien constater les sentiers créés dans les bosquets!
    

Place des Fêtes, c'était pour le marché, et on redescendait par la rue des Fêtes, où jouait un accordéoniste aveugle, et la rue de Belleville, toujours très animée en commerces et en véhicules (12). Il y avait le boucher (13), et surtout le « ciné » Le Féérique, où nous avons vu quelques films (14) et mangé des esquimaux...
    

En remontant ma rue vers la Place des Fêtes, j'étais fasciné par une vieille devanture de Pompes Funèbres, entre les n°40 et 46 (15), fermée depuis des lustres, et remplie de photos de corbillards somptueux, avec des chevaux caparaçonnés,  des lambrequins et des espèces de plumets : corbillards de 1ère ou 2ème classe du XIXème siècle... !
    Au coin de la rue Arthur Rozier, bien sûr, le bougnat célèbre, avec sa borne d'appel de Police-Secours, où j'ai vu mon premier Scopitone...

    En CM2, avec un maître d'école sportif, nous allions nager à la piscine Pailleron (petit je disais « Paéron »), en bas des Buttes. L'apprentissage, les habillages et les trajets étaient à la cravache, l'eau était fortement chlorée, mais j'y ai appris à nager (« grenouille, A, I, Y, grenouille, A, I, Y ... ») avec des bouées en liège, et puis un jour, plus de bouée: « Oh lui, hé ! »
  

  Fin des années 60, j'ai pris quelques leçons de conduite vers le n°15 de la rue de la Villette (mais j'avais déjà appris avec la 403 sur les petites routes bombées des Landes) : nous allions, en SIMCA 1500, surtout dans le quartier -beaucoup plus calme- du Danube,  où j'allais parfois au cinéma « Danube ».
   

 A la même époque, un peu plus loin vers le n°4 de la même rue, nous allions acheter « de la cuisine toute faite », salade, légumes cuits, plats en sauce,
parts de gâteaux maison, et il fallait toujours faire la queue !
    

Pour finir, je me suis rarement aventuré jusqu'aux « boulevards des Maréchaux » (chez Eddy, qui m'était inconnu) : c'était loin, à pinces ! Il y avait d'immenses terrains vagues (les fortifs?) avec une église au milieu, et il y avait un tunnel qui descendait vers l'inconnu : les égouts ? Je m'étais promis d'y revenir avec une lampe de poche, mais......

    En 1960, je me suis retrouvé interne à Lakanal, à Sceaux, mes parents ayant divorcé. Je rentrais chez mon père un week-end sur deux, nous allions au restau et au spectacle (chanteurs, boulevard, …), le 19ème ne m'était plus  rien, sinon pour rouler la nuit sans permis, dans la voiture « empruntée » à mon père, vers 1966/67... Ma mère, remariée, a vécu longtemps au Plessis-Robinson (pratique, pour aller à Cochin), mais j'avais quitté Lakanal pour le lycée de Compiègne ! Je dormais le dimanche soir chez mon père, pour me lever à 06h00, attraper le métro (déjà à pneus, la première ligne équipée, la 11 !) de 06h25 à « Jourdain », être serrés comme des sardines, surtout à « République » jusqu'à « Gare du Nord », et prendre le train pour Compiègne à 07h00. L'Oise, la forêt, les colos et les camps à la montagne ou à l'Océan, le service militaire en Bretagne (16) et dans les Chasseurs alpins, les vacances  dans un petit paradis de la plaine du Doubs, chez mes grands-parents, tout m'a dégoûté de Paris : je n'ai pas connu les démolitions de Belleville (17), mais j'ai vu  celles de la Place des fêtes... ! Je ne suis jamais revenu rue des Solitaires (18), et très rarement à Robinson : nous nous revoyions en « province »... !

    « Et nous voilà ce soir... », dirait le grand Jacques.    
 

(1)les garde-corps en ferronnerie sont toujours les mêmes, quand les volets  roulants sont ouverts !

(2)Dont les gérants ont défilé, en fonction de l'influence des Studios : il y a même eu un jazzman, je crois...
(3)le charbon en sac était vidé  dans les caves, à dos d'homme...
(4)dans l'immeuble actuel du n°43 rue de la Villette, il y a plusieurs niveaux de sous-sol, où nous louions un box pour la voiture, bien plus tard...
(5) classé Monument Historique ?
(6) sans doute 7 rue Lassus, « le Lescot ».
(7) il travaillait à la SITA, une filiale d'Air France, près de la Gare du Nord
(8) au n°10 ou 12...
(9) peut-être au n°7 ou au n°15 de la rue du Plateau? (il y avait de grandes caisses qui débordaient de chutes de métal)
(10) il y avait une vespasienne en tôle, avec des gens « louches »... !
(11) cigarettes «P4 » achetées au PMU de l'église... !
(12) j'y suis passé en autocar en 1968, pour rentrer dans Paris venant de Compiègne  (théâtre pour Terminales)!
(13) sans doute toujours au n°143...
(14) paraît-il celui évoqué dans « la dernière séance » d'Eddy...Plus tard, nous allions au cinéma dans Paris (Rex, Studio Universal, Gaumont, etc.)
(15) avant démolition...
(16) EOR (élève-officier de réserve) à Coëtquidan, je suis venu voter  dans le préau de mon école primaire, en grand uniforme avec le képi !
(17) « Dernier domicile connu » avec Lino Ventura...
(18) sauf sur Gogol-maps...
 

                                      Vue de la cour enneigée du 3 rue des Solitaires. Photo Yves Bohain

                                                      Voiture d'époque. Photo Yves Bohain

                                                                  une Citroën Traction 11B de 1951,

Voici son l'histoire:

au n°70 (ou n°78 ? immeubles "récents") de la rue de la Villette, dans une arrière cour,

il y avait un vieux carrossier, André COLIN,  chez qui mon père faisait réparer les gnons

récoltés dans la circulation parisienne. Ce brave homme partait en vacances en Bourgogne

et la légende veut qu'il repeignait chaque année sa magnifique Traction...

J'ignore comment sa veuve a fait appel à mon père pour la vendre, à l'été 1971,

mais bien sûr, je lui ai demandé  de me l'acheter, j'étais Chasseur Alpin à Grenoble  à ce moment là et suis venu défiler sur les “Champs” !. Elle en voulait CENT FRANCS,

nous la lui avons payée deux cent francs... J'ai beaucoup bourlingué avec...

L'hiver aux Arcs, à 1600m, les nombreuses couches de peinture noire cellulosique

se sont écaillées comme un enduit, l'été dans la Drôme (peinture "tuyau de poêle"),

puis dans l'Hérault (mariage, à 20 km/h, boite cassée), etc, etc...

La photo date de 1979, peu avant de la vendre (divorce...).